Je suis dans le train de retour des vacances
Je me balade avec le cadeau que l’on m’a fait.
C’est une surprise pour ma fille
Mais cela complique mon voyage
Car c’est un ours à bascule fait maison.
Le train est bondé et je laisse l’ours dans le couloir
A chaque accélération ou ralentissement
Il hoche de la tête
Comme pour donner du courage aux voyageurs
Qui ne se parlent pas.
Cet ours dérange dans ce train pénétré de multiples écrans.
Mais il intrigue aussi.
Mes voisins du carré famille, un jeune couple, m'adressent la parole
Et nous discutons.
D’ours, de voyages, de métiers….
Au bout de 3h de voyage nous nous rendons compte
Que nous étions ensemble lors de nos études supérieures mais dans une filière différente.
Et que nous nous connaissions de vue.
J’apprends qu’ils débarquent dans 2 mois à Marseille
Et qu'elle, comme moi, s’est réorientée dans l’éducation.
On ne soupçonne pas tous les liens que nous pouvons avoir avec les gens autour de nous.
On les sous-estime tellement
Qu’on évite de parler à l’inconnu
Et comme on a toujours la peur de l’inconnu qui nous guette
On évite.
Or les moyens pour éviter aujourd’hui sont nombreux : casques, smartphones, ordinateurs, consoles…
“Autrefois, il arrivait qu’on s’excuse auprès de son voisin de train quand, après avoir discuté, on sortait un livre. Comme si le mode par défaut était d’échanger. A présent, le mode par défaut, c’est d’être plongé dans son téléphone et de s’excuser si on doit lui adresser la parole.” Explique une étude en observation des comportements des usagers de la SNCF.
L’omniprésence des écrans et des écouteurs marginalise le “small talk”
Ce bavardage où l’on parle de tout et de rien avec son voisin.
Rien de mieux qu'un ours polaire pour briser la glace des écrans
Mais ces échanges triviaux sont-ils indispensables ?
Certains y voient une enfreinte à la vie privée
“On dit ma propriété privée, ma vie privée… Avant, tu disais bonjour à tout le monde ; dans une salle d’attente, en entrant dans un café… A présent, le silence est devenu la marque du respect. La conversation s’est fait expulser par les nouvelles attentes du savoir-vivre. Dire bonjour à quelqu’un qu’on ne connaît pas, ce n’est pas une violation de domicile, mais presque. » dit Patrick Bernard, du mouvement La République des hyper-voisins.
Si la vie est vraiment plus agréable en papotant avec des inconnus, pourquoi ne le fait-on pas ?
« Ils sous-estiment non seulement le bonheur que ça leur apporte, mais aussi les informations qu’ils pourront en tirer” nous dit Stav Atir, une chercheuse américaine
« On envisage moins les bénéfices qu’il peut y avoir à ces échanges, et quand on croit qu’on a peu à en tirer, on est moins enclin à essayer » dit-elle.
Et aujourd’hui on a plus de moyens d’y échapper.
C’est le grand paradoxe de notre société
Grâce aux réseaux sociaux
Nous pouvons être en contact avec n’importe qui dans le monde
Avec seulement 3,5 connections de personnes sur Facebook et 4,1 sur Linkedin.
Comme le monde s’est rapproché !
Or, dans ce même monde
Il ne nous a jamais été aussi difficile
Que de parler à notre voisin de train.
Et 20 % de la population affirme ressentir un sentiment de solitude tous les jours ou presque, d’après une étude de la Fondation de France sur la question du lien social.
Le covoiturage l’a compris de manière prophétique
En s’appelant BlaBlaCar
Ils savaient que leur valeur était de rapprocher des gens qui ne se seraient jamais parlés.
A l’inverse, la marque de la SNCF s’appelle IDVroum
Passant à côté de l’enjeu social de tisser du lien.
Alors qu’ils en étaient témoin tous les jours dans leurs wagons.
En tant qu’éducateur je m’interroge
Comment aider les enfants à rompre la glace ?
A ne pas avoir peur de l’inconnu ?
De l’incertitude ?
A avoir la conviction que l’on peut faire de belles rencontres à tout moment ?
En donnant le goût de la surprise
En disant bonjour quand on croise quelqu’un
En faisant davantage de sorties pour découvrir de nouvelles réalités
En recevant régulièrement des invités en classe
En animant les temps de déjeuner
En apprenant à poser des questions et à s’intéresser aux autres
A fréquenter des personnes différentes et parfois inconnues.
D’ailleurs
Le New York Times a placé “Parler à des inconnus” dans son palmarès des tendances pour 2023.
Mettons-le à l’ordre du jour de nos écoles !
Bon mercredi et vive le bavardage ;)
Coucou Valentin,
Nous rentrons de deux jours de sortie et en lisant ton texte je me rends compte qu'on a réussi au moins une chose : nos élèves ne sont absolument pas timides. Pendant le camp il y a eu à parler avec toutes sortes de gens : nos voisins dans les transports, notre guide, des policiers à qui nous avons demandé des renseignements, les autres résidents du lieu où nous étions, des étudiants en sortie qui sont venus discuter avec nous, etc.
À chaque fois, nos élèves leur ont parlé avec curiosité et enthousiasme. Je ne m'étais même pas rendue compte que c'était une réussite. Merci de m'avoir fait réaliser ça.