Vous rappelez-vous votre première leçon de conduite ?
Je me souviens de cette première fois, où le moniteur a laissé le volant à mes mains et le moteur à mes pieds pour propulser à plus de 50km/h un objet d’une tonne dans une ville avec de vrais piétons et de vrais cyclistes.
En tant qu’éducateur j’ai retiré deux leçons de ce grand moment de confiance.
Premier conseil : “Si tu regardes l’obstacle, tu finis par rentrer dedans.”
C’est ce qui arrive quand tu veux doubler un vélo.
Et que tu te rends compte que tu t’en rapproches trop parce que tu veux voir si son vélo est électrique.
Au lieu de regarder au loin et de le dépasser sans problème.
De même, nous en tant qu’éducateurs, nous devons connaître les obstacles à dépasser mais surtout aider l’enfant à regarder au delà.
Sans quoi, il tombera dans le panneau.
Une manifestation concrète de cela,
C’est de donner des objectifs dans le bulletin.
C’est de montrer le travail d’autres élèves qui ont réussi.
C'est de ne pas dire : “nous allons faire des mathématiques” à un élève que cela angoisse, mais “comment pourrions-nous estimer le nombre de personnes dans cette image ?”
C’est face à l’échec, le remettre devant une histoire plus longue, un avenir.
C’est de ne pas sur-réagir quand l’erreur survient.
C’est de ne pas accepter la fatalité : “Ce sont des ados”.
Second conseil : “Plus tu accélères, plus ton champ de vision se rétrécit”.
Sur l’autoroute par exemple, on a les yeux fixés sur la route.
Les panneaux marrons nous indiquent les régions et monuments historiques que nous traversons, sans qu’on ait le temps de jeter un coup d’oeil.
D’ailleurs il n’y a rien à voir.
Et c’est pour cela que les artistes autoroutiers construisent des oeuvres immenses.
Pour être sûrs qu’elles entrent dans notre champ de vision.
C’est tout l’inverse sur la nationale.
Je me souviens de deux trajets pour faire Marseille Grenoble.
L’un par la vallée du Rhône, sur l’A7 : c’était rapide.
L’autre par le col de Luce la Croix Haute, en passant par Sisteron, longeant la vallée du Buëch, puis atterrissant dans le Trièves.
En voyant au loin Sisteron, je compris pourquoi c’était un point de passage stratégique et la capitale des abattoirs d’agneau.
Je compris pourquoi Napoléon, dans le “Vol de l’Aigle”, prit cette route plutôt que la vallée du Rhône pour remonter sur Paris.
En longeant les pommiers du Buëch, je compris pourquoi à Sisteron, l’église s’appelait Notre-Dame des pommiers.
Quelle mémorisation avais-je sur l’autoroute ?
Quelle compréhension du paysage, de la culture et de sa logique ?
Cette connaissance se faisait rapidement et hors-sens.
Sans goûter aux choses.
Sans les vivre.
Sans les dire pour les relier et les comprendre.
J’en ai élaboré une théorie
La qualité éducative d’un transport est liée à sa vitesse.
Autrement dit, ce qui fait la qualité d’un voyage, c’est la facilité à s’arrêter.
Car en m’arrêtant, je peux goûter, échanger, rencontrer, méditer.
Plus c’est rapide, plus la sensation augmente, mais la conscience diminue.
A l’inverse, plus c’est lent, plus on peut s’arrêter facilement, vivre et goûter.
Concrètement,
Le parc d’attraction : la montagne russe ne nous a jamais offert de vue sur quelque chose. On n’en retient que les frissons.
Le TGV : nous traversons des paysages, sans les comprendre, ni les sentir, ni les mémoriser.
La marche à pied : c’est le déplacement où s’arrêter et redémarrer est le plus facile, et qui porte le plus à une plus grande conscience de soi et des choses qui nous entourent.
En classe, comment voyageons-nous ?
Faisons-nous goûter les choses ?
Y-a-t-il des temps d’arrêt ? Des ralentissements ?
Permettons-nous des rencontres ?
Des intervenants viennent-ils témoigner ?
Bref, y-a-t-il de la vie, mêlant corps et esprit, ou juste des sensations ?
Bravo Valentin pour ces jolis partages de réflexions personnelles, fort justes !
Je suis sûre que tu fais un excellent travail auprès de tes jeunes. Bonne continuation…
Merci Anne - heureux de vous lire également !