Nous venons de vivre une date historique pour les enfants.
Ce n’est pas les élections, mais bien la journée du 1er avril.
Il faut vraiment travailler au quotidien avec des enfants pour mesurer l’importance de ce jour.
Moi même je l’ignorais et n’y accordais pas beaucoup d’importance auparavant.
Or, pour le 1er avril, il ne faut pas perdre le fil !
Surtout, c’est le jour où il faut “s’attendre à l’imprévu !”
Comme le disait Héraclite.
Chose étonnante pour l’enseignant.
Qui du matin au soir, suit son journal de bord.
Ecrit au quart d’heure près le déroulé de chaque activité.
A pour mission de structurer l’intelligence des enfants et leur environnement.
Et qui pourtant doit faire face, tous les jours, à des situations imprévisibles.
“Comment être roi de l’impro, en même temps que dieu de l’organisation ?”
L’imprévu est différent de l’aléa.
Tout le monde connaît la locution attribuée à César : “alea jacta est” : les dés sont jetés !
Dans ce cas il s’agit bien d’un aléa et non d’un imprévu.
Quand je jette un dé, le résultat que j’obtiens est un chiffre entre 1 et 6.
Je connais toutes les situations possibles.
Je ne sais simplement pas laquelle va se produire.
Mais je peux me préparer aux 6 situations.
L’imprévu, ce serait si le dé me donnait un 7
C’est-à-dire, une situation que je ne pouvais pas prévoir.
Et à laquelle je dois réagir rapidement sans quoi le jeu s’arrêterait !
L’imprévu ne justifie pas l’impréparation.
“Puisque ça ne se passera pas comme j’ai pensé, autant ne pas le faire !”
Nous devons envisager toutes les situations possibles et nous y préparer.
L’imprévu vient alors comme une surprise à laquelle il faut dire oui (voir les règles d’impro à la fin) !
Revenons au 1er avril.
Je suis très mauvais pour réfléchir à une blague de poisson d’avril.
Je ne comprends toujours pas ce que vient faire un poisson dans l’histoire.
Un poisson collé dans le dos ne me fait pas rire.
Je sais que les attentes des élèves sont ô combien élevées.
Et je n’ai pas beaucoup d’imagination.
Cette année, la journée du 1er avril a commencé sans idée.
Il était 8h20.
Comme chaque année, je n’avais toujours pas d’idée de surprise à leur faire.
Les élèves ont commencé le réveil du corps en autonomie,
Pendant qu’au fond de la classe, la tête dans les cahiers de bord, je vérifiais les mots et signatures des parents.
A mon retour au tableau, les élèves avaient changé de place.
Pas tous, pour ne pas trop attirer mon attention.
Mais suffisamment pour me troubler.
Dans la routine bien huilée, l’imprévu s’était mêlé.
J’ai rigolé à leur blague.
J’étais debout, devant leurs regards rieurs et plein d’espoir pour une journée qui s’annonçait drôle.
Tout le monde se demandait comment j’allais réagir.
Je n’avais pas 10 minutes devant moi pour rebondir.
Restez à vos places !
Tout simplement, je me décidai à les laisser à leur place.
Puis les règles du jeu se sont improvisées une à une.
Je les appellerais par le prénom de la personne occupant habituellement le bureau. Et ils devraient répondre à sa place !
Au moment d’écrire dans les cahiers, un élève me demanda comment faire. Je ne l’avais pas prévu.
“Ecrivez dans les cahiers de vos camarades !”
Bref, c’était la classe inversée !
Les élèves ont tout de suite joué le jeu.
Certains imitaient leur camarade dans leur prise de parole.
Tous se sont appliqués pour écrire et faire les exercices, trop contents de laisser une trace pérenne dans le cahier du jour de leur ami.
L’écoute en classe était maximale.
La concentration aussi, pour savoir à qui réellement je m’adressais.
De mon côté, je me régalais !
Je pouvais faire passer des messages, car le prénom que j’employais ne s’adressait pas directement à la personne.
Ce qui mettais un intermédiaire pour dire quelque chose de délicat, rectifier une attitude voire relire une situation de la semaine...
Un tel est trop bavard, cela ne lui ressemble pas.
Une telle n’a pas fait son travail et donc aura une punition, que son “double” aura le soin de choisir.
Bref, nous découvrions au fur-et-à-mesure les joies des règles de jeu que nous nous étions donnés.
Et je me rendis compte de deux choses.
La première concerne notre prénom.
Notre oreille est programmée pour réagir à notre prénom.
Elle distinguerait ce son parmi 1000.
Et alerterait aussitôt notre cerveau.
Il est très difficile de ne pas réagir à son prénom.
La seconde est que pour faire de l’imprévu une force, il faut savoir improviser.
Souvent on pense que pour improviser il faut être soit un artiste dans un jazz band.
Soit un pompier sur les toits de Notre-Dame de Paris en feu.
Or nous sommes tous amenés à improviser.
Florent Lacour, professeur à Dauphine et formateur en management, nous offre trois ressources à développer :
Faire confiance à notre intuition : être rapide et savoir rebondir de quelque chose qui vient de la situation qui m’est présentée.
Cultiver l’esprit de divergence : sortir du cadre, être flexible, voire transgresser si besoin.
Le système D : oser s’engager dans l’action sans attendre la perfection des moyens. Trouver des solutions au fur-et-à-mesure.
Et le meilleur pour la fin.
Je suis aussi allé voir ce que disent les rois de l’impro.
Ceux qui font des matchs d’impro au théâtre.
L’exercice est très codifié.
Ils doivent respecter certaines règles.
Et il y a des fautes à ne pas commettre, qui peuvent nous guider.
Refus : ne pas rebondir sur l'idée que nous propose l’autre et partir sur autre chose. Ne disons pas non aux propositions des élèves, mais disons “OUI ET”
Cabotinage : faire rire pour faire rire, sans s’inscrire dans l’histoire. Le professeur qui fait ça perd toute crédibilité.
Sortie de thème : quand le comédien sort du thème ou que le prof raconte sa vie ou fait une parenthèse qui dure un peu trop il perd son public ou sa classe.
Manque d’écoute : rater une idée, un détail, qui avait peut-être son importance pour celui qui me l’a proposé. Il faut être à l’écoute des propositions pour pouvoir construire à partir de là.
Rudesse : ne pas laisser de la place aux nouveaux arrivants. C’est moi qui improvise, pas toi !
Déjà vu : répétition d’une situation.
Cliché : phrases célèbres, citations de films.
“OUI ET” au lieu de “NON” !
Parfois, comme pour les matchs d’impro, j’aimerais avoir un arbitre dans ma classe pour me le rappeler.
Et vous, comment s’est passé votre poisson d’avril ?
Quelle improvisation avez-vous dû faire ?
Ou quelle blague a retenu votre attention ?
En attendant, et à défaut d’arbitre, pour réfléchir sur l'improvisation en classe :
- A quel imprévu ai-je été confronté ? Etait-ce de l’imprévu, un aléa, de l’impréparation ?
- Quelles ressources ai-je mobilisé ? Plutôt de l’intuition, de l’esprit de divergence ou du système D ?
La relecture permet de voir s’il s’agit d’un aléa, auquel cas j’aurais dû prévoir cette situation et mieux anticiper ou d’un imprévu, auquel cas j’aurais pu réagir de manière intuitive avec un esprit créatif !
Et pour aller plus loin :
Livre : Apprivoiser le crocodile - Florent Lacour
Merci pour votre lecture et pour votre partage de poisson d’avril.
A mercredi !
Venez découvrir les autres lettres du p’tit biscuit !
Très bon ce biscuit 🐟