Bobin est décédé la semaine dernière.
La veille du black Friday.
Lui qui faisait l’éloge du rien.
J’ai eu la chance de rencontrer un poète dans ma vie.
C’était un rêve d’enfant,
Que j’avais formulé en apprenant les poésies à l’école.
Poésies de poètes malheureusement tous disparus.
Un jour, je lui écrivis une lettre.
Il se munit d’un feutre noir, bien épais,
Déposa des grandes lettres sur des feuilles blanches en laissant de larges marges.
Ces feuilles ne pouvaient contenir que quelques mots, tant ils étaient chargés.
Je l’imaginais dévorant des liasses de papier, comme un millefeuille un jour de fête.
Il m’avait répondu.
Et je ne voyais pas la différence entre cette lettre et ses livres,
Tant le style était magnifique.
Eloge de la lenteur, de la relation, de la rencontre.
A cette lettre, il ajouta un cadeau.
Un petit livre,
En y adjoignant ce mot :
“Voici un petit biscuit pour la route quand elle vous paraîtra dure”.
Nous étions sur le point de partir marcher 40 jours.
Sur la fin de notre périple, nous l’ouvrîmes, page par page, avec un couteau.
Nous étions à table, avec 27 feuilles, quelques mots bien pesés et le poète à nos côtés.
Non seulement, cela donna le nom à ce billet du mercredi.
Le p’tit biscuit - des paroles pour repartir dans notre marche d’éducateur.
Mais je compris bien plus tard la portée de son message qui s’adresse à tous les adultes et surtout aux professeurs.
La question était : Qu’est-ce qui donne du sens à votre vie ?
Il commença par répondre :
“Nous en demandons trop aux écrivains - ce qui donne sens à ma vie ? Rien, et surtout pas l’écriture !”
Un mot le gênait dans la question.
Ce mot de “sens”.
En l’effaçant, la question devint :
“Qu’est-ce qui vous donne votre vie ?”
“Tout. Tout ce qui n’est pas moi et qui m’éclaire. Tout ce que j’ignore et que j’attends. Car notre attente est toujours comblée par surprise.”
Je me suis reconnu dans ma démarche de reconversion dans l’éducation.
Mon guide avait été l’énergie que je sentais en allant au travail le matin.
Alors que pour d’autres métiers, parfois plus rémunérés, je peinais chaque matin au réveil.
Et je procrastinais le soir.
J’attendais depuis quelques années de pouvoir rejoindre le monde de l’enseignement.
Et, comme par surprise,
En novembre,
Au retour de notre marche,
Un poste se libéra sur Marseille et m’attendait.
Et je découvris le plus beau métier du monde.
Qu’est-ce que c’est, un adulte ?
“C’est quelqu’un qui est absent de sa parole, comme de sa vie - et qui le cache.
C’est quelqu’un qui ment.
Il ment non sur telle ou telle chose, mais sur ce qu’il est.
Un enfant devient adulte quand il est capable d’un tel mensonge profond, essentiel.”
Bobin est resté enfant toute sa vie.
Ces paroles ont guidé le professeur que je suis devenu.
“La clé de l’enfant, c’est l’émerveillement” m’avait-on dit à mes débuts.
Les enfants n’ont pas besoin de professeurs.
Mais de poètes.
Les poètes ont 100 ans d’avance sur le monde et parfois bien plus.
Ils voient loin et agissent profond.
Comme disait Maria Montessori :
“N'élevons pas nos enfants pour le monde d'aujourd'hui. Ce monde n'existera plus lorsqu'ils seront grands.”
Il faut préparer les enfants au monde d’après.
C’est la mission des poètes !
Et depuis, j’ai lu davantage ses livres.
Je vous livre les quelques phrases,
Glanées par-ci, par-là,
Qui éclairent mes journées auprès d’enfants,
Ravivant la flamme de l’émerveillement.
“Eclaire ce que tu aimes, sans toucher à son ombre”
“Les bébés sont mes maîtres à penser, or ils ne sont jamais tristes. Ils sont comme des milliardaires qui ne gardent pas un sou pour eux : l’or qu’ils ont part dans tous les sens.”
“La grâce c’est de n’être jamais dans la répétition”
“Au fond j’aime bien ceux qui arrivent et ceux qui vont bientôt partir. Ils ont de magnifiquement commun, l’un de ne pas avoir été pris par la volonté de puissance, l’autre d’en avoir été rejeté”
"Aimer quelqu’un c’est le lire. C’est savoir lire toutes les phrases qui sont dans le cœur de l’autre, et en le lisant le délivrer. Il y a plus de texte écrit sur un visage que dans un livre de la Pléiade et quand je regarde un visage, j’essaie de tout lire, même les notes en bas de page." Christian Bobin
“Nommer ce que l’on aime, c’est l’aimer encore mieux, c’est un surcroit d’amour.”
“S’il y avait pour moi une sagesse ce serait : l’art d’être pleinement là, avec une attention extrême, soutenue”
“Les bébés s’autorisent aussi à fixer, ce que nous ne nous autorisons pas. Quand un tout petit rit, c’est toute sa personne qui est secouée comme un grelot. Son regard pétille comme si on avait versé dans ses yeux une minuscule coupe de champagne.”
Bon mercredi à chacun.
Et en route vers le soleil ! Avec ce nouveau logo !
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